Thursday, September 13, 2012

Jamais trois pour deux carrés !

Le théorème des deux carrés de Fermat est un théorème d'arithmétique, dont on donne ainsi l'énoncé général :

Théorème des deux carrés de Fermat : Un entier s'écrit comme somme de deux carrés si et seulement si les nombres premiers de sa décomposition en facteurs premiers qui s'écrivent sous la forme 4n + 3 interviennent à des puissances paires.

Pour en venir à bout, des mathématiciens de tous temps (Fermat, Lagrange, Gauss, ...) ont permis de trouver des méthodes assez variées, proposant ainsi un panorama de ce que la mathématique pouvait faire en arithmétique. La plus belle preuve à mon goût est celle qui utilise les entiers de Gauss, comme un moyen d'élargir le concept de division euclidienne.

Il existe une preuve plus fondamentale mettant en évidence les carrés d'un corps fini $F_q$, pour $q$ impair, par la suite exacte suivante, entre groupes multiplicatifs :
$1\rightarrow F_q^{*2} \rightarrow F_q^* \rightarrow \{-1,1\} \rightarrow 1$
(la flèche de gauche est l'injection identité et celle de droite, la surjection d'élévation à la puissance $(q-1)/2$).
 C'est le point de vue développé dans le Cours d'arithmétique de J.P. Serre.

Le théorème des deux carrés vu sur les nombres premiers

Tout d'abord, l'idée est de se "restreindre" aux nombres premiers, en démontrant qu'un nombre premier s'écrit comme somme de deux carrés si et seulement s'il est congru à 1 modulo 4. Ce résultat est d'ailleurs lui aussi appelé Théorème des deux carrés de Fermat.

Dans un sens, il est bien évident que si p est somme de deux carrés, alors, suivant la parité des deux carrés en question, p ne peut être congru qu'à 1 ou 2 modulo 4. Le cas 2 n'est possible que pour, justement, p = 2 car en général, aucun nombre premier n'est pair.

Dans l'autre sens, il faut faire intervenir l'anneau des nombres de Gauss, qui n'est rien d'autre que Z[i], c'est-à-dire le réseau des nombres complexes qui s'écrivent comme a + b.i avec a et b entiers de Z. C'est bien un anneau pour les opérations classiques (+ et .) et on le munit d'une valuation N, c'est-à-dire une application de Z[i] dans N qui vérifie N(u.v) = N(u).N(v). En l'occurrence, la valuation qu'on va considérer ici est le module complexe classique, élevé au carré : en effet, N(z) sera alors simplement la somme des carrés de ses composantes. Quoi de plus naturel pour étudier des sommes de deux carrés ?

Ainsi, la valuation permet d'introduire une division euclidienne dans Z[i], c'est-à-dire que pour tout couple (a,b) de Z[i], il existe un couple (d,r) tel que a = b.d + r avec N(r) < N(b). Attention, ce couple (d,r) n'est en général pas unique, contrairement à ce qu'on présente classiquement de la division euclidienne. L'introduction de cette division euclidienne nous a toutefois permis de définir pour Z[i] une structure d'anneau euclidien.

Munis de ce cadre, nous pouvons encore avancer un peu : un anneau euclidien est en fait factoriel, c'est-à-dire que chacun de ses éléments peut se décomposer en un produit de facteurs premiers, unique à un inversible près.

Prenons justement un nombre premier p congru à 1 modulo 4. Le théorème du résidu quadratique (1) nous dit justement qu'il existe m et k entiers tels que m²+1 = k.p = (m+i).(m-i). Du coup, on en déduit que p n'est pas premier en tant qu'entier de Gauss puisqu'il ne divise ni (m+i), ni (m-i). (2)  Ainsi, il existe u et v entiers de Gauss différents de +/-1 ou +/-i (qui sont inversibles dans Z[i]) tels que p = u.v, ceci impliquant p² = N(u).N(v). Cette fois, on est revenu parmi les entiers naturels et étant donné le caractère premier de p, alors nécessairement N(u) ou N(v) vaut p, ce qui démontre l'implication qui nous manquait.

Cas général

Donc : tout nombre premier (>2) est somme de deux carrés si et seulement s'il est congru à 1 modulo 4.

De cela, le cas général vient moyennant un dernier petit résultat : si p premier est congru à 3 modulo 4 et si p divise x² + y², alors p divise x et y. Pourquoi cela ? Simplement, si p ne divise pas x, alors il est premier avec lui et donc x est inversible dans Z/pZ. Ainsi, y.x-1 est racine du polynôme X²+1 dans Z/pZ, ce qui est impossible quand on examine les congruences modulo 4. Alors, p divise x, donc y, et alors divise x²+y². Autrement dit, si un diviseur premier congru à 3 modulo 4 intervient dans la décomposition d'un entier somme de deux carrés, c'est forcément à une puissance paire.

Ainsi, reprenons le théorème dans sa forme générale. D'après le dernier résultat que nous venons de démontrer, si n s'écrit comme somme de deux carrés et si p congru à 3 modulo 4 intervient dans sa décomposition en facteurs premiers, alors nécessairement  divise n et chacun des deux carrés. Ainsi, p ne peut intervenir à une puissance impaire, sans quoi on pourrait se ramener à un entier m décomposable en somme de deux carrés et que diviserait p et non . Ceci est rigoureusement impossible et le sens direct est ainsi démontré.

Supposant maintenant que les p congrus à 3 modulo 4 interviennent à une puissance paire, on peut les supprimer de la décomposition de n et se ramener à un entier m produit de facteurs premiers tous congrus à 1 modulo 4 (éliminons le cas de la présence de 2, qui se règle de manière très similaire). Dans ce cas, on a vu plus haut que tous ces premiers pouvaient chacun se décomposer en somme de carrés. C'est alors l'identité de Lagrange qui permet de conclure :
(a² + b²) . (c² + d²) = (ac + bd)² + (ad - bc
et de faire de ce grand produit une somme de deux carrés.

Comme l'indiquait le titre, jamais de congruence modulo 3 pour une décomposition en deux carrés... ou bien à une puissance paire, seulement !

Pour en savoir plus ...

J.P. SERRE. 1970. Cours d'Arithmétique. Presses Universitaires de France. (Chapitre 1)


(1) Le résultat du résidu quadratique stipule justement que si p est congru à 1 modulo 4, alors le polynôme X² + 1 admet une racine dans Z/pZ. En effet, le petit théorème de Fermat nous dit que tout élément non nul a de Z/pZ vérifie ap-1 = 1 dans Z/pZ. Autrement dit, injectant la congruence particulière de p, le polynôme (X2n - 1)(X2n + 1) est simplement scindé sur Z/pZ. Or, le polynôme (X2n - 1), non nul, admet au maximum 2n racines sur le corps Z/pZ, donc il existe b non nul tel que (b2n - 1) est inversible. Alors pour cet élément on a b2n + 1 = 0, ce qui établit le résultat du résidu quadratique - bn étant une racine de X² + 1 dans Z/pZ. Le résultat du résidu quadratique est en fait un corollaire du théorème plus général de la loi de réciprocité quadratique.
(2) en fait, c'est là où le caractère factoriel de l'anneau joue, c'est-à-dire l'idée selon laquelle tout élément est décomposable en produit de facteurs premiers de manière unique à multiplication par inversible près. Un anneau factoriel en effet vérifie le lemme d'Euclide : si p premier divise le produit a.b, alors p divise a ou p divise b. Notre affirmation au sujet de p et de (m + i).(m - i) n'est que la contraposée du lemme d'Euclide.

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