Tuesday, July 17, 2012

Complété d'un espace : une construction bien réelle !

Le dernier post de ce blog parle de construction, d'extension, d'artifice mathématique poussant à créer des ensembles aux propriétés plus fortes que les ensembles de base.

Ainsi, nous avons parlé de la construction générale d'un ensemble métrique complet à partir d'un espace métrique quelconque, celui-ci étant dense dans son extension. Un exemple de densité ne vous vient-il pas à l'esprit ? Le plus souvent, on parle de densité avec l'ensemble des rationnels dans l'ensemble des réels, n'est-ce pas ? Cela va être notre propos ici, comme une application du complété d'un espace : nous allons parler de la construction de l'ensemble des réels.

Petit rappel d'abord sur la construction des ensembles connus : admettant la construction de l'ensemble des entiers naturels (1), de sa loi de composition interne, l'addition, on a alors, par définition, un monoïde. Une extension naturelle de cet ensemble est de le munir de symétriques pour l'addition, ainsi on adjoint aux entiers naturels les entiers négatifs pour former l'ensemble des entiers relatifs. Cette fois, on a même une structure de groupe pour la l.c.i. addition, c'est-à-dire que tout élément admet un inversible de telle sorte que composés ensemble, ils reviennent à l'élément neutre : 0.

Plus que de groupe, on a même une structure d'anneau si on adjoint la multiplication entre entiers relatifs - on aurait même pu munir les entiers naturels de la multiplication, faisant de l'ensemble un "double monoïde". Cette fois, l'ensemble des entiers relatifs n'admet que 1 et -1 comme inversibles pour la multiplication ; ainsi, comme dans le cas des entiers naturels, il paraît "naturel", justement, d'ajouter à l'ensemble des relatifs, les inversibles tels que l'ensemble ainsi créé (2) soit également muni d'une structure de groupe pour la multiplication. Ainsi, on se retrouve avec l'ensemble des nombres rationnels.

Parlons topologie désormais (3). Autant sur les entiers naturels et sur les entiers relatifs, les topologies induites pouvaient rester triviales - puisqu'essentiellement des topologies discrètes - autant sur les rationnels, on voit apparaître une topologie plus élaborée en introduisant la métrique canonique consistant à mesurer la distance entre deux fractions comme la valeur absolue de leur différence. Sous cette métrique, on construit par exemple des suites convergentes non constantes ; ainsi considérant 1/n pour n tendant vers l'infini, la suite converge vers 0.

Or, l'ensemble des rationnels muni de cette métrique n'est pas complet (à noter que muni de la métrique discrète, il l'est). Pourtant, prenant un coup d'avance, on sait que l'ensemble des rationnels se plonge dans celui des réels et que ce dernier est complet. Donc, où est le problème ? Et bien, le problème tient dans le fait suivant : si toute suite de Cauchy de ℚ converge dans ℝ comme suite de réels, sa limite, elle, n'est pas forcément dans ℚ. Bien au contraire, il existe énormément de suites de Cauchy de ℚ non convergentes dans ℚ, par exemple considérant les développements décimaux tronqués de tous les nombres irrationnels (racines de nombre entiers non carrés parfaits, nombres transcendants, etc.).

Justement, retournons le problème et regardons la question suivante : que se passe-t-il si on considère le complété de ℚ comme construit dans la publication précédente ? Et bien, tout simplement, on tombe sur l'ensemble des réels ℝ. En d'autres termes, si on construit l'extension de ℚ qui contient les suites de Cauchy d'éléments de ℚ - regroupées par classes d'équivalence (4) - on tombe sur tous les nombres réels : algébriques, transcendants, ... tous. En conséquence, on tient là une construction de l'ensemble des réels par complétion de l'ensemble des rationnels pour sa métrique naturelle.

Cette construction de ℝ est appelée "construction de Cauchy" en héritage des suites du même nom qui permettent d'identifier ℝ comme le complété de ℚ. A noter que cette construction est aussi valable partant d'une extension algébrique de ℚ d'ordre fini, c'est-à-dire de tout corps résultant de l'adjonction d'un nombre fini de nombres réels algébriques à ℚ.

En résumé, c'est la théorie des ensembles qui construit ℕ, c'est l'algèbre qui nous apporte ℤ puis ℚ, et pour finir, c'est la topologie qui nous donne ℝ. Ainsi, c'est grâce à une belle série de théories mathématiques qu'on parvient à construire les ensembles les plus courants.

Ici encore, nous donnerons dans un post ultérieur de Théorie des Nombres comment une telle idée permet de construire les corps locaux $p$-adiques comme des complétés de $\mathbb{Q}$ pour d'autres métriques que celle de la valeur absolue. Ces "frères" de $\mathbb{R}$ sont à la base de toute la théorie moderne des nombres et travaux de recherche les plus poussés sur le sujet.


(1) Cette construction, dite de Peano, fait appel aux notions d'ordinal et de successeur, que nous aurons sans doute l'occasion d'aborder ici.
(2) ... hormis l'élément zéro pour des questions de gestion de l'horizon infini. Nous aurons également l'occasion de revenir sur l'exclusion du zéro dans les corps dans une publication future.
(3) Oui, encore de la topologie..
(4) A considérer toutes les suites de Cauchy sans les regrouper, on risque de compter deux fois la même pour un même nombre réel. Par exemple, prenons Pi : 3.14926535... considérant la suite (xn) de rationnels composée des développements décimaux jusqu'à la décimale n (n entier naturel) et considérant la suite (yn) de rationnels composée des développements décimaux jusqu'à la décimale 2n (n entier naturel), on obtient deux suites différentes (même si (y) est en fait une suite extraite de (x)) qui tendent vers la même limite. Ainsi, on a besoin de regrouper (x) et (y) dans la même "catégorie", c'est pourquoi on munit l'extension de ℚ de la relation d'équivalence entre suites de Cauchy qui regroupe les suites dont la distance élément à élément tend vers 0. C'est ainsi le cas de nos exemples (x) et (y), dont la différence élément par élément peut être majorée par 10-(n-1).

Tuesday, July 10, 2012

De quoi s'arracher les cheveux, avec leurs extensions...

A l'image d'un corps possédant une extension algébriquement close, peut-on étendre des espaces topologiques généraux en des espaces possédant des propriétés plus agréables ? La réponse est oui, évidemment, et nous proposons ici d'approcher une des composantes du travail du mathématicien, à savoir celle qui consiste à fabriquer des extensions artificielles sur lesquelles tout un jeu de propriétés devient accessible, à partir d'ensembles a priori "généraux".

Examinons cela, par le biais de la complétion d'espaces métriques.

En effet, un espace métrique X se complète, en considérant l'espace des suites de Cauchy d'éléments de X sur lequel on définit une relation d'équivalence : deux suites de Cauchy sont équivalentes si la distance entre les deux suites tend vers 0. Ainsi, dans cette extension qu'est l'espace des suites de Cauchy quotienté par la relation d'équivalence définie, l'espace de départ peut s'identifier à l'ensemble des suites constantes. Par ailleurs, par complétude de l'ensemble des réels, la distance (au sens de la métrique de X) entre les éléments de deux suites de Cauchy converge vers une limite, ainsi on peut définir une métrique sur l'extension par ce moyen (2). Définir une extension constituée d'objets (ici, des suites de Cauchy) a priori de nature différente des éléments de l'espace d'origine, puis identifier l'espace d'origine à un sous-ensemble de l'extension par une relation injective (ici, celle qui à un élément de X associe la suite constante égale à cet élément) est un des principaux procédés utilisés en mathématiques pour construire des extensions.

Pour la métrique de l'extension, l'application qui à un élément de X associe la (classe de la) suite constante dans l'extension est bien une isométrie. Par ailleurs, le plongement est dense dans l'extension et ce point précis demande une certaine gymnastique intellectuelle. Considérant un élément de l'extension, c'est-à-dire une (classe d'équivalence d'une) suite de Cauchy de l'espace de départ, suite qu'on appelle x, il s'agit de construire une suite d'éléments de X, en tant que partie de l'extension, qui s'approche indéfiniment de la suite choisie x. Autrement dit, il suffit de trouver une suite de suite constantes qui s'approche indéfiniment de la suite choisie x, pour une métrique qui mesure la distance entre deux suites de Cauchy par leur distance en l'infini (3). Une fois qu'on a bien remis ses neurones à l'endroit suite à une telle bourrasque, on s'aperçoit que la suite des suites constantes égales à chacun des termes de la suite x convient - et cela provient directement du caractère de Cauchy de toutes ces suites.

Si on résume, on vient de construire une extension de X, de la munir d'une métrique et de montrer que X y est dense. Mais il nous manque l'essentiel : la complétude de l'extension. Pour cela, il va falloir encore faire une belle pirouette entre X, son plongement dans l'extension et les éléments de l'extension - qui sont, on le rappelle, des classes d'équivalence de suites. En effet, considérant une suite de Cauchy y dans l'extension, c'est-à-dire une suite de suites d'éléments de X, à n'importe quel rang y(n) de cette suite on peut trouver un élément x(n) du plongement de X - x(n) est à la fois un élément de X et une suite constante dans l'extension - qui soit proche de y(n) à 1/n près, au sens de la métrique de l'extension.

1er artifice : dans cette affaire, x(n) - en tant qu'élément de l'extension - est une suite constante, contrairement à y(n) - en tant qu'élément de l'extension toujours - qui ne l'est pas a priori. 2ème artifice : certes, la suite des x(n) - où x(n) est cette fois considéré comme un élément de X - ne converge pas dans X, mais comme elle est de Cauchy, elle a sa classe d'équivalence dans l'extension. Alors, il se trouve que cette classe d'équivalence est la limite que l'on cherche pour la suite y, ce qui s'établit sans difficulté majeure.

Si le raisonnement a de quoi désorienter, on ne doit pas perdre de vue ce magnifique procédé qui consiste à étendre un ensemble dit "général" en définissant une extension composée d'objets de nature élaborée puis à considérer que l'espace d'origine se plonge "naturellement" dans son extension par une application injective. Une série d'artifices telle que les deux que nous venons d'exposer permet alors d'aboutir à des conclusions a priori miraculeuses. C'est ce mode de raisonnement que je trouve personnellement très instructif que je tenais à partager.

Le prolongement ci-dessous propose un examen du cas de compactification. Ce cas est analogue puisqu'il propose d'adjoindre à l'espace de départ un "corps étranger" qui rend l'espace compact. C'est alors un procédé d'extension moins abstrait, mais de même nature que celui que nous venons d'exposer. La construction d'une extension de corps algébriquement close est du même acabit.

Prolongement : le compactifié d'Alexandrov

Partant d'un espace X non compact mais localement compact, il est possible de définir une extension compacte, "simplement" en adjoignant l'infini à l'espace de départ. Joli, n'est-ce pas ? C'est ainsi qu'on définit, dans le cas du plan réel, la sphère de Riemann, en adjoignant l'infiniment lointain au plan, comme si on repliait un planisphère en mappemonde.. Cette image permet sans doute de mieux saisir la notion de compactifié d'Alexandrov.

En fait, le procédé comprend également une redéfinition de la topologie adaptée à l'extension, en considérant comme ouverts les parties engendrées par les ouverts de X et les complémentaires de compacts dans X auxquels on adjoint l'infini.

Pour la petite histoire, la raison pour laquelle une telle extension est compacte tient dans le fait que l'infini se sépare de tout élément de X (4a) et que dans tout recouvrement ouvert de l'extension, on trouve un ouvert qui contient l'infini (4b).


(1) ... pour peu qu'il soit localement compact, c'est-à-dire que tout point admette un voisinage compact.
(2) On vérifie plus ou moins aisément qu'il s'agit bien d'une métrique ; en tout cas c'est un bon exercice.
(3) ... distance à l'infini qui existe bien, car on est dans l'ensemble des réels, qui est complet.
(4a) Merci à la compacité locale !
(4b) Le complémentaire est alors compact, il est recouvert par tous les autres ouverts du recouvrement, et on peut alors extraire un nombre fini pour remplir la même fonction de recouvrement.

Thursday, July 5, 2012

Si on ne métrise pas Bolzano-Weierstrass...

La topologie n'est pas vraiment le domaine de la mathématique le plus simple à partager notamment dans le cadre d'un blog. Toutefois, ce que j'y trouve de fascinant c'est, comme je tentais de l'expliquer dans le billet précédent, cet aller-retour constant qu'on est obligé de faire entre des notions a priori extrêmement générales d'une part, à tel point que certains théorèmes sont adjoignables à la théorie de Zermelo-Fraenkel, et des efforts de représentation pour sa compréhension propre, dans des cadres connus mais élaborés. Ainsi, il n'est pas rare d'en appeler à des espaces vectoriels de dimension finie pour comprendre la notion d'ouvert alors qu'en fait l'ouvert n'a besoin que de concepts très basiques pour se définir.

Bref. Ici, ce qui éveille ma curiosité, c'est la compacité et plus précisément le théorème de caractérisation de Bolzano-Weierstrass. Pour rappel, un compact est une notion topologique (c'est-à-dire qu'aucune métrique et a fortiori aucune norme n'est nécessaire pour sa définition) qui se définit par deux caractéristiques :

1/ un compact est séparé (i.e. deux éléments distincts peuvent être chacun mis dans un ouvert, les deux ouverts ne présentant aucune intersection)
2/ un compact vérifie la propriété dite de Borel-Lebesgue : de tout recouvrement a priori infini du compact par des ouverts il est possible d'extraire un recouvrement fini.(1)

Parfois, dans les livres de topologie, on trouve en guise de définition d'un compact la caractérisation suivante, dite de Bolzano-Weierstrass :

Dans un espace métrique, un compact est un ensemble dans lequel il est possible d'extraire de toute suite d'éléments une sous-suite convergente.

Vous l'aurez peut-être remarqué : la différence entre les deux énoncés c'est la métrique. Dans Borel-Lebesgue, on parle d'ouverts, dans Bolzano-Weierstrass on parle d'espace métrique, donc de distance.

Or, en soi, la notion de sous-suite convergente n'a pas besoin de la métrique pour être définie. En effet, une suite tend vers une limite donnée lim si pour tout voisinage de lim il existe un rang N (si ce n'avait été l'ensemble des entiers naturels, on aurait parlé d'un voisinage de l'infini) à partir duquel tous les éléments de la suite sont dans ledit voisinage. Or un voisinage d'un élément c'est un ensemble qui contient un ouvert contenant lui-même l'élément : il n'est nul besoin de métrique dans cette affaire. Toutefois, je vous l'accorde : pour bien se représenter la définition de la limite que je viens de transcrire, on a bien besoin de se placer dans un espace métrique, pour sentir qu'on n'exprime rien d'autre que l'idée selon laquelle un suite convergente se rapproche indéfiniment de sa limite, et de manière irréversible à partir d'un certain rang. C'est encore une illustration de l'idée que j'évoquais en tête de ce texte et que j'ai tenté de développer dans le précédent.

Donc, si on a besoin du cadre métrique dans Bolzano-Weierstrass, c'est que sans cela, il y a de fortes chances que le théorème soit faux : ce serait donc une hypothèse nécessaire et / ou suffisante.

Le fait est qu'un espace compact au sens général ne vérifie pas toujours la propriété de Bolzano-Weierstrass. En commençant par considérer la famille (dénombrable) des fermés définis par l'adhérence des termes de la suite à partir du rang n (n indexant la famille de fermés), on remarque que toute sous-famille finie de cette famille de fermés est d'intersection non vide, pour conclure que l'intersection de tous ces ensembles fermés est non vide, ce qui signifie l'existence d'au moins une valeur d'adhérence. On croit qu'on a fini, mais en fait non : l'existence d'une sous-suite qui converge vers cette valeur d'adhérence n'est valable que dans un espace métrique.

Il existe donc en toute généralité des espaces compacts qui ne sont pas séquentiellement compacts, par exemple l'ensemble des applications de [0;1] dans [0;1] muni de la topologie produit. Cet espace est compact par le théorème de Tykhonov (voir précédent article) mais on peut construire une suite qui n'admet aucune valeur d'adhérence, par exemple en posant f[n](x) = cos(nx). Cela permet même d'en déduire que l'espace des applications de [0;1] dans [0;1] n'est pas métrisable

Dans l'autre sens, on ne peut également pas se passer de la métrisabilité. En effet, dans un espace métrique vérifiant la propriété de Bolzano-Weierstrass (on dit aussi séquentiellement compact), deux étapes permettent de conclure :

1 - le lemme dit des "nombres de Lebesgue" : pour tout recouvrement d'ouverts, il existe un rayon r > 0 tel que pour tout élément x, la boule centrée sur x et de rayon r est contenue dans un des ouverts du recouvrement. En d'autres termes, si on se donne un recouvrement d'ouverts, on sait déjà que tout élément de l'espace est forcément dans un des ouverts. Ce qu'ajoute le lemme des nombres de Lebesgue, c'est qu'il existe un rayon tel que ce n'est pas seulement x mais toute une boule ouverte centrée sur x qui est incluse dans un des ouverts. (D1)

2 - la précompacité d'un espace séquentiellement compact : un espace séquentiellement compact est recouvrable par un nombre fini de boules, et ce pour tout rayon > 0. (D2)
Pour conclure, il suffit d'appliquer le lemme des nombres de Lebesgue en profitant de la précompacité de l'espace séquentiellement compact. (prise seule, cette phrase peut faire sourire)

On voit dans cette esquisse de démonstration que la notion de métrique nous aide bien à construire des boules et à raisonner ainsi pour conclure. Certes, mais n'existait-il pas un moyen de s'en sortir sans faire appel à la métrique ?

Et bien, la réponse est encore non. Il existe en effet des espaces séquentiellement compacts qui sont non compacts, mais ça commence à devenir franchement pathologique. Voir ici pour un exemple très instructif faisant appel à la construction du permier ordinal non dénombrable.
La conclusion de tout ça est que compacité et compacité séquentielle sont deux notions bien distinctes en toute généralité, qui deviennent équivalentes dès que l'espace est muni d'une métrique. Sans métrique il faut donc se méfier du statut de quasi-définition qui est donné à la caractérisation de Bolzano-Weierstrass quant aux compacts.

En d'autres termes, si on ne métrise pas Bolzano-Weierstrass, compacité et compacité séquentielle se dissocient - mais ne s'excluent pas, car il est possible d'être compact, séquentiellement compact, mais non métrisable (2)...

Finalement, la métrique nous arrange bien !

Démonstrations
(D1) La propriété se démontre par l'absurde, en écrivant méthodiquement le contraire de l'assertion comme suit : pour tout rayon r, il existe un x tel que la boule centrée sur x et de rayon r n'est pas complètement incluse dans aucun ouvert de l'union. A ce moment là, on pose r[n] = exp(-n), on choisit alors un x[n] en relation, suite de laquelle on peut extraire une sous-suite convergente x[f(n)] qui tend vers x. D'autre part, x est dans un des ouverts du recouvrement, ce qui implique par définition d'un ouvert dans un métrique que toute une boule centrée sur lui est dans l'ouvert. Or pour un n suffisamment grand, le rayon r[f(n)] est tellement petit, x[f(n)] est si proche de x que toute la boule centrée sur x[f(n)] et de rayon r[f(n)] est incluse dans l'ouvert du recouvrement qui contient x. La construction de la suite x[n] l'interdit, d'où le résultat.
(D2) De la même manière, ce second résultat s'établit par l'absurde. S'il existe un rayon r > 0 pour lequel l'espace n'est jamais recouvrable par un nombre fini de boules de ce rayon, alors on construit par récurrence une suite x[n] telle que x[n+1] n'est pas dans l'union des boules de rayon r centrées sur x[k] pour k inférieur à n. Comme les éléments de cette suite sont distants les uns des autres d'au moins r > 0, alors il est impossible d'extraire une sous-suite convergente, d'où la contradiction.

Notes
(1) un recouvrement du compact par des ouverts, c'est un ensemble d'ouverts dont la réunion contient le compact.
(2) cf. par exemple ici, avec utilisation du difficile théorème d'Eberlein-Smulian

Monday, July 2, 2012

Zorn versus Tykhonov : Zermelo-Frankel pris à revers par la topologie.

Lors du dernier billet, nous avons brièvement évoqué la notion de théorie, permettant l'établissement de la véracité ou non d'un énoncé. Nous disions alors qu'il existe des axiomes sous lesquels une énoncé devient vrai et hors desquels il devient faux. C'est, grosso modo, l'extrapolation en mathématiques du vieil adage "question de point de vue..."

Ainsi, il est un axiome qu'on questionne souvent : l'axiome du choix. Comme son nom le rappelle, cet axiome affirme que le produit d'ensembles non vides est non vide, autrement dit : quel que soit le nombre d'ensembles (non vides) qu'on se donne, il est possible de construire un élément en piochant dans chaque ensemble, c'est-à-dire en choisissant dans chaque ensemble (1). Comme application principale de cet axiome, on peut citer surtout le théorème de la base incomplète, montrant l'existence d'une base dans un espace vectoriel quelconque. Cet axiome est le 10ème de la théorie de Zermelo-Fraenkel, qui fonde les mathématiques modernes, mais nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir à l'occasion d'un autre billet.

En fait, mon objet ici c'est cette magnifique équivalence que j'ai eu l'occasion de rencontrer, entre l'axiome du choix et un théorème de topologie, le théorème de Tykhonov - équivalence c'est-à-dire que si on assortissait la théorie de Zermelo-Fraenkel (hors axiome du choix) du théorème de Tykhonov, on fonderait la même chose que la théorie ZF avec axiome du choix. Pourtant, le théorème de Tykhonov est, à la base, un théorème de topologie, dont l'énoncé appelle des notions plus élaborées que celle qu'on rencontre classiquement dans les axiomes qui fonderaient la base d'une théorie comme Zermelo-Fraenkel. Voyez plutôt.

Théorème (Tykhonov, 1930) : Tout produit d'espaces topologiques compacts est compact.

(N.B. : la réciproque est également vraie)

Revenons, comme lors du billet précédent, sur les notions évoquées par chacun des termes. Espace topologique, tout d'abord : si, comme dans le cas de l'espace métrique (lien), le terme d'espace désigne un ensemble en toute généralité, le fait qu'il soit topologique signifie qu'on y a particularisé une catégorie de sous-ensembles qu'on appelle les ouverts, qui doit être stable par réunion quelconque ainsi que par intersection finie, et qui doit contenir l'ensemble tout entier ainsi que l'ensemble vide (le néant). Cette catégorie d'ouverts s'appelle une "topologie".

Par exemple, si on considère l'ensemble des nombres réels, la topologie la plus "naturelle" est celle qui se base sur les intervalles ouverts (qui portent ainsi bien leur qualificatif d'ouvert) et qui se compose alors d'assemblages (réunions) possiblement infinis d'intervalles ouverts, d'intersections finies d'intervalles ouverts, je dirais même plus : des réunions quelconques et des intersections finies d'ensembles ainsi formés. Vous me direz : c'est immense, en fait on doit couvrir à peu près tous les sous-ensembles des réels avec des combinaisons aussi riches. Et bien non : je vous défie de construire l'ensemble constitué du nombre 1 - le singleton 1 - de cette manière.  C'est impossible.

Une autre façon de s'imaginer les ouverts tels qu'ils sont dans l'ensemble des réels, dans les espaces réels de dimension finie (le plan, l'espace tridimensionnel, etc.), ou plus généralement dans les espaces métriques (lien) c'est d'imaginer des ensembles tels qu'aucun élément n'est jamais pile sur le bord. En d'autres termes, tout éléments d'un ouvert peut être entouré d'une mini-boule, d'un mini-intervalle, en maths on dit d'un "voisinage" qui serait toujours dans l'ouvert., comme si on pouvait indéfiniment s'approcher du bord sans jamais le toucher (à moins de carrément basculer de l'autre côté, dans le complémentaire). Cette intution-là suppose toutefois la mise en place d'une métrique, d'une distance permettant de mesurer la proximité or ce n'est pas le cas de tous les espaces topologiques, loin de là. D'ailleurs, les espaces topologiques tels que ceux qui établissent le pont entre Zorn et Tykhonov sont bien loin d'être métriques !

Retenons donc qu'un espace topologique est un ensemble pour lequel on a caractérisé un ensemble d'ouverts.  Par ailleurs, un produit d'espaces, c'est simple : par exemple un produit de deux espaces, c'est l'ensemble des paires d'éléments dont le premier est dans l'ensemble 1, le second est dans l'ensemble 2 - 1 et 2 constituant l'indexation des ensembles du produit. Un produit infini dénombrable (1,2,3,... ) s'imagine bien, par extension. Plus généralement, un produit infini quelconque d'ensembles peut se conceptualiser : il se rattache alors à un ensemble général d'indexation (des nombres, des réels, des fonctions, etc.) qui constituera la numérotation de cet "ensemble d'ensembles".

Reste, donc, la notion non triviale de compact. La définition plus abordable quand on commence la topologie selon moi, c'est celle dite de Bolzano-Weierstrass, qui dit qu'un espace compact est un espace dans lequel toute suite admet une suite extraite convergente. Ou encore, que toute suite admet au moins une valeur d'adhérence (lien). La définition dite de Borel-Lebesgue dit, elle, qu'un compact c'est un ensemble qui, quand on le recouvre d'une famille d'ouverts, peut toujours être recouvert par une sous-famille finie de ces ouverts. Exemple, par rapport à la définition de Bolzano-Weierstrass : la suite des nombres entiers prise comme sous-ensemble de l'ensemble des nombres réels. Cette suite ne converge pas, elle n'a même aucune valeur d'adhérence, puisqu'elle tend vers l'infini. Ainsi, on voit alors que l'ensemble des nombres entiers n'a aucune chance d'être compact. En fait, d'une manière plus générale, on sait bien caractériser les compacts dans l'ensemble des réels : ce sont les ensembles fermés (c'est-à-dire de complémentaire ouvert) et bornés. On voit bien que l'ensemble des entiers, non borné, n'a aucune chance d'être compact.

Ainsi, ce que dit l'axiome du choix c'est que si chaque ensemble est non vide, alors leur produit est également non vide.

Ce que dit le théorème de Tykhonov, c'est que si chacun d'entre eux est compact, alors le produit est compact.

On voit bien que ce qui est curieux dans cette histoire, c'est que le théorème de Tykhonov en appelle à la notion de compact, donc à la définition d'une topologie, alors que l'axiome du choix en reste à des notions ensemblistes basiques comme le produit d'ensembles. En fait, quand on suppose Tykhonov vrai pour démontrer qu'on vérifie l'axiome du choix, il y a une étape de la démonstration qui munit chaque ensemble du produit d'une topologie de définition élémentaire : cette topologie considère comme ouvert tout ensemble dont le complémentaire est fini. C'est donc dans cette topologie particulière, purement ensembliste, sans considération de métrique ou de norme, qu'on va identifier des ensembles comme étant compacts, leur produit comme compact et c'est de cette compacité qu'on va alors déduire le caractère non vide du produit des ensembles de départ.

Voici donc une démonstration (2) qui nous aura montré que la topologie servait ici de concept pour naviguer au milieu des axiomes ensemblistes. C'est plutôt désorientant dans le sens où, pour se construire une intuition sur les notions abstraites introduites en topologie, on en appelle souvent à la métrique, qui suppose intrisèquement la construction de l'ensemble des réels par exemple, elle-même basée sur le socle de la théorie de Zermelo-Fraenkel alors qu'en fait la notion générale de topologie, via le théorème de Tykhonov, nous permet de revenir sur l'axiome du choix, donc de "prendre à revers" la théorie ZF et les constructions usuelles que nous venons d'évoquer (métrique, réels, etc.). Comme quoi...


(1) une version équivalente dit : tout ensemble ordonné inductif admet un élément maximal. C'est le Lemme de Zorn (paragraphe "Ensemble inductif") L'équivalence avec l'axiome du choix se démontre, mais c'est délicat (lien)...

(2) voir par exemple ici au paragraphe "Equivalence avec l'axiome du choix".