Thursday, November 14, 2013

Les anneaux d'entiers des corps de nombres

  
Ce second article de théorie des nombres propose une introduction aux anneaux d’entiers des corps de nombres. Pour cela, nous mettrons en lumière les notions d’entier, la structure d’anneau, avant de revenir sur l’idée de Dedekind et son application aux corps de nombres.

I – Qu’est-ce qu’un entier ?

Dans la compréhension commune, un entier (relatif) est un élément de $\mathbb{Z}$. L’ensemble des entiers relatifs, muni de la multiplication et de l’addition classiques, est alors un anneau commutatif et même intègre et principal.

En théorie des nombres, étant donné deux anneaux commutatifs $A\subset B$, un élément de $x\in B$ est dit entier sur $A$ s’il existe un polynôme $P$ à coefficients dans $A$ et de coefficient dominant égal à 1 tel que $P(x)=0$. On note que dans ce cas, ledit polynôme est forcément non constant.
Par exemple, les éléments de $\mathbb{Z}$ sont évidemment entiers sur $\mathbb{Z}$ en ce sens, mais ce ne sont pas les seuls. En effet, $\sqrt{2}$ est un élément de $\mathbb{R}$ qui est également entier sur $\mathbb{Z}$.

Il existe deux raisons à ce qu’un élément $x$ de $B$ ne soit pas entier sur $A$ :
-          soit il n’existe aucun polynôme à coefficients dans $A$ annulant $x$
-          soit il en existe un, mais on ne peut en trouver qui soit de coefficient dominant égal à 1

Pour illustrer le second cas, aucun rationnel non entier n’est entier sur $\mathbb{Z}$. En effet, si on écrit r=p/q sous forme irréductible et si $P=a_0+\dots+a_{n-1} X^{n-1}+X^n$, alors on trouve, en multipliant par $q^n$, que $p^n$ est un multiple de $q$. Or, ce n’est pas possible étant donné que p et q sont supposés premiers entre eux. Autrement dit, les éléments de $\mathbb{Q}$ qui sont entiers sur $\mathbb{Z}$ sont donc les éléments de $\mathbb{Z}$. $\mathbb{Q}$ étant le corps des fractions de l’anneau intègre $\mathbb{Z}$, on dit que $\mathbb{Z}$ est sa propre clôture intégrale dans son corps des fractions ou encore qu’il est intégralement clos.

En effet, on appelle clôture intégrale de $A$ dans un corps $K$ le contenant, l’ensemble des éléments de $K$ qui sont entiers sur $A$. Un anneau intègre (donc commutatif et sans diviseurs de zéro) sera dit intégralement clos s’il est égal à sa propre clôture intégrale dans son corps des fractions.

Pour revenir sur le premier cas, pensons à la notion suivante : si $A\subset B$ sont deux anneaux commutatifs, $B$ est un $A$-module. Si $B$ est un $A$-module de type fini, alors il est impossible de tomber dans le premier cas. En effet, étant donné un élémetn $x\in B$, la famille infinie $(1,x,\dots,x^n,\dots)$ est forcément liée sur $A$, ce qui signifie exactement l’existence d’un polynôme annulateur de $x$ à coefficients dans $A$.

Etant donné que notre propos concernera les corps de nombres, qui sont des extensions finies de $\mathbb{Q}$, on retrouvera la finitude des modules, donc l’existence d’un polynôme annulateur.


II – Anneaux d’entiers

On considère deux anneaux commutatifs $A\subset B$. La propriété suivante, fondamentale, est non triviale :
L’ensemble des éléments de $B$ qui sont entiers sur $A$ est un anneau.

Ceci nous est accessible grâce à l’algèbre modulaire : $x$ est entier sur $A$ si et seulement si le $A$-module $A[x]$ est de type fini, ce qui est bien clair, car si $p$ est le degré du polynôme unitaire de plus petit degré annulant $x$ dans $A[X]$, alors la famille $(1,\dots,x{p-1})$ est $A$-génératrice sur $A[x]$. Par suite, on établit sans trop de souci la propriété suivante : si $A[x]$ et $A[y]$ sont des $A$-modules de type fini, alors $A[x,y]$ aussi. De cela découle le fait que $A[x+y]$ et $A[xy]$, sous-$A$-modules de $A[x,y]$, sont des $A$-modules de type fini. Ceci démontre la structure d’anneau dont se munit l’ensemble des éléments entiers.
Cette petite démonstration nous montre à quel point l’algèbre modulaire permet d’éviter des démonstrations calculatoires et pénibles avec des polynômes de polynômes.

Nous verrons dans un article ultérieur consacré à l’exemple intéressant des corps quadratiques comment caractériser les anneaux d’entiers des extensions de degré 2 de $\mathbb{Q}$. Par exemple, classiquement, pour introduire la théorie de Dedekind, on pointe du doigt le fait que certains anneaux d’entiers ne sont pas principaux et pas factoriels. On cite ainsi usuellement l’anneau $\mathbb{Z}[i\sqrt{5}]$ qui est intégralement clos et pourtant on note que $6$ admet deux décompositions, $3\times 2$ et $(1+i\sqrt{5})(1-i\sqrt{5})$, rendant impossible la factorialité de l’anneau.

Nous allons voir dans les sections qui suivent comment ceci a été contourné, notamment à l’aide les avancées proposées par Richard Dedekind.


III – L’idée de Dedekind

Toute l’idée de Dedekind est de considérer une classe d’anneaux plus large que les anneaux factoriels et de munir un certain ensemble de leurs idéaux lui-même de lois de composition. En considérant les idéaux plutôt que les nombres, Dedekind parvient ainsi à un théorème analogue à la décomposition en facteurs premiers, mais sur les idéaux, et ce, dans une classe d’anneaux bien plus large que les anneaux factoriels !
Il sera alors remarquable de noter que les anneaux d’entiers appartiennent à la classe des anneaux de Dedekind : à défaut d’appliquer une décomposition en facteurs premiers dans chacun d’entre eux, on pourra y appliquer une décomposition en idéaux premiers.

On va donc :
-          additionner des idéaux : $I+J$ est alors l’idéal engendré / composé des $i+j$ avec $i\in I$ et $j\in J$
-          multiplier des idéaux :$IJ$ est alors l’idéal engendré par les $ij$ avec $i\in I$ et $j\in J$.
On voit tout de suite qu’il va être compliqué d’avoir une structure de groupe additif : $I-I$ ne donne nullement l’idéal nul. C’est donc du côté de la multiplication d’idéaux que la théorie de Dedekind lorgne. On a d’ailleurs déjà un élément neutre, l’anneau $A$, puisque tout idéal $I$ de $A$ vérifie par définition $IA=I$.
La question est alors : peut-on inverser des idéaux pour la multiplication et aller ainsi jusqu’à la structure de groupe ? La réponse est : oui, dans les anneaux de Dedekind, tout idéal fractionnaire non nul est inversible.

Qu’est-ce qu’un idéal fractionnaire ? On pourrait croire à une couche d’abstraction supplémentaire, mais elle n’est pas inutile : sans elle, aucune possibilité, dans un anneau intègre autre qu’un corps, d’inverser des idéaux.
Un idéal fractionnaire « d’un anneau intègre » est un sous-ensemble $I$ du corps des fractions de $A$ pour lequel il existe $s\in A\backslash\{0\}$ tel que $sI$ est un idéal de $A$. En gros c’est un ensemble de fractions de $A$ présentant un dénominateur commun tel que les numérateurs associés forment un idéal de $A$.
Par exemple, dans $\mathbb{Z}$, dont le corps des fractions des $\mathbb{Q}$, l’ensemble $J$ des fractions donc le dénominateur est $3$ et le numérateur un multiple de $2$ est un idéal fractionnaire : $3J$ est en effet égal à $2Z$, qui est un idéal de $\mathbb{Z}$.
Au passage, on note que $2\mathbb{Z}$ est aussi un idéal fractionnaire de $\mathbb{Z}$ : le nombre $1$ est un choix possible de dénominateur commun. Plus généralement, tout idéal d’un anneau intègre est un idéal fractionnaire de cet anneau – et heureusement.

En fait, un idéal fractionnaire d’un anneau intègre n’est en général pas un idéal de cet anneau et ce n’est pas non plus un idéal du corps des fractions vu en tant qu’anneau. On sait en effet que les idéaux d’un corps, vu comme anneau, sont triviaux. C’est donc une notion intermédiaire : la description la plus exacte qu’on puisse en donner est celle d’un sous-$A$-module du corps $K$ des fractions de $A$.
Reprenant l’exemple ci-dessus, $J=\frac{2}{3} \mathbb{Z}$ est l’ensemble des multiples entiers de $\frac{2}{3}$ : à ce titre, c’est un bien un $\mathbb{Z}$-module (de type fini et de rang 1) inclus dans $\mathbb{Q}$, qui est lui-même un $\mathbb{Z}$-module (de rang infini).

L’inverse d’un idéal fractionnaire $I$, s’il existe, est désigné comme un sous-$A$-module de $K$, noté $I^{-1}$, tel que $II^{-1}=A$.

Au passage, les idéaux de $A$ sont exactement ceux, parmi les idéaux fractionnaires de $A$, qui sont inclus dans $A$.


IV – Anneaux de Dedekind

Un Anneau de Dedekind est un anneau intègre dont tout idéal fractionnaire non nul est inversible.

Cette dernière propriété est équivalente à ce que tout idéal tout court non nul soit inversible : en effet, si tout idéal fractionnaire non nul est inversible, alors tout idéal est évidemment inversible ; réciproquement, si tout idéal non nul est inversible, en écrivant un idéal fractionnaire sous la forme $d^{-1}.I$, alors l’inverse est $d.I^{-1}$.

Il existe plusieurs caractérisation équivalente d’un anneau de Dedekind, mais qu’on n’a pas mentionnées car on n’a pas adopté un angle d’attaque adapté : par exemple, un anneau de Dedekind est un anneau intègre, intégralement clos, noethérien et dont tous les idéaux premiers non nuls sont maximaux. En d’autres termes, dès que $I$ est un idéal non nul tel que $A/I$ est intègre, alors $A/I$ est un corps.

Dans un anneau de Dedekind, le théorème fondamental est la décomposition en idéaux premiers :

Tout idéal (tout court) d’un anneau de Dedekind se décompose de manière unique (à permutation des facteurs près) comme produit d’idéaux premiers

Ce théorème est un analogue parfait de la décomposition en facteurs premiers pour les entiers relatifs. D’ailleurs celle-ci constitue en réalité un cas particulier du théorème ci-dessus, car il se trouve que $\mathbb{Z}$ est un anneau de Dedekind. Si $n$ est un entier non nul, $I=nZ$ est un idéal de $\mathbb{Z}$, alors il est produit d’idéaux premiers de $\mathbb{Z}$. Or ceux-ci sont les $p\mathbb{Z}$ avec $p$ premier, d’où l’écriture du générateur de $I$ (n), comme produit des générateurs de chaque idéal premier.


V – Le lien avec les corps de nombres

Dans un billet précédent, nous rappelions qu’un corps de nombres $K$ est une extension finie de $\mathbb{Q}$. Ainsi, l’ensemble des éléments de $K$ qui sont entiers sur $\mathbb{Z}$, couramment noté $\mathcal{O}_K$, est un anneau intègre. Le fait que $K$ est une extension finie de $\mathbb{Q}$ (donc séparable car $\mathbb{Q}$ est un corps parfait) implique que $\mathcal{O}_K$ est un anneau noethérien. Plus précisément, si $d$ est le degré de l'extension, alors $\mathcal{O}_K$ est un $\mathbb{Z}$-module libre de rang $d$.

$\mathcal{O}_K$ est intégralement clos, ce qui revient à dire que son corps des fractions est $K$. En effet, tout élément $x\in K$ est racine d’un polynôme à coefficients dans $\mathbb{Z}$, qu’on note $P(X)=a_n X^n + \dots + a_0$. Alors, quitte à multiplier par $a_n^{n-1}$, on note que $a_n.x$ est entier sur $K$. Donc $x$ est contenu dans le corps des fractions de $\mathcal{O}_K$. Par ailleurs, on voit sans problème que toute fraction d’éléments de $\mathcal{O}_K$ est évidemment un élément de $K$, d’où le résultat.

Surtout, tout idéal premier non nul de $\mathcal{O}_K$ est maximal. Considérant un tel idéal $J$, c'est un sous-$\mathbb{Z}$-module du $\mathbb{Z}$-module libre de type fini $\mathcal{O}_K$. $J$ est donc libre et on introduit une $\mathbb{Z}$-base sous la forme $(a_1 e_1,\dots, a_d e_d)$ avec $(e_1,\dots,e_d)$ base de $\mathcal{O}_K$ - et ce, d'après le théorème de structure des modules. Alors $J$ est isomorphe à $a_1 \mathbb{Z}\bigoplus\dots\bigoplus a_d \mathbb{Z}$. De plus, les $a_i$ sont tous non nuls car il existe $\alpha$ non nul dans $J$, donc $\alpha e_i$ est dans $J$ pour tout $i$. Alors $A/J$ est isomorphe au produit $\mathbb{Z} / a_1 \mathbb{Z}$ $\times \dots \times$ $\mathbb{Z} / a_d \mathbb{Z}$
Donc $A/J$ est un anneau intègre fini, or un anneau intègre fini est un corps. Donc tout idéal premier non nul de $\mathcal{O}_K$ est un idéal maximal.

En bref :
L’anneau des entiers d’un corps de nombres est un anneau de Dedekind.

Cela précise en particulier le cas de $\mathbb{Z}[i\sqrt{5}]$, évoqué plus haut : admettant que c’est l’anneau des entiers de $\mathbb{Q}[i\sqrt{5}]$, l’anneau est non factoriel mais c’est un anneau de Dedekind.


Bibliographie – Liens – Pour en savoir plus

Pierre SAMUEL, Théorie Algébrique des Nombres, Ed. Méthodes.
Cours de J.-F. DAT (Paris 6) - disponible sur http://www.math.jussieu.fr/~dat/
Cours de L. MEREL (Paris 7) - disponible sur http://www.math.jussieu.fr/~merel/Enseignement.html
Wikipedia – Anneau de Dedekind - http://fr.wikipedia.org/wiki/Anneau_de_Dedekind
Wikipedia – Idéal fractionnaire - http://fr.wikipedia.org/wiki/Id%C3%A9al_fractionnaire

Annexe – Quelques notions d’algèbre modulaire

Module sur un anneau : si $A$ est un anneau, un ensemble $M$ muni d’une loi interne « + » et d’une loi externe « . » est un $A$-module si
(i)                 $(M,+)$ est un groupe commutatif
(ii)               $(a+b).x=a.x+b.x$ pour tout $(a,b,x)\in A^2\times M$
(iii)             $(ab).x=a.(b.x)$ pour tout $(a,b,x)\in A^2\times M$

En d’autres termes, un module sur un anneau est l’analogue d’un espace vectoriel sur un corps. La différence essentielle tient dans le fait qu’un scalaire n’est pas forcément inversible dans le cas d’un module.

Module de type fini : si $A$ est un anneau commutatif et $M$ un $A$-module, $M$ est dit de type fini s’il existe une famille $A$-génératrice de $M$ de cardinal fini.
Module libre de type fini : si $A$ est un anneau commutatif et $M$ un $A$-module, $M$ est dit de type fini s’il existe une $A$-base de $M$ de cardinal fini.

Ces définitions sous-entendent qu’il n’existe pas forcément une base à un module, contrairement à ce qui a cours dans les espaces vectoriels – d’ailleurs, montrer qu’un module est libre est souvent quelque chose de fortement non trivial.

Monday, November 4, 2013

Introduction à la topologie de Zariski

Ce court article propose deux mots sur la topologie de Zariski, qui se définit aussi bien sur un espace affine que sur un espace projectif. Dans l'ensemble de ce billet, on se place sur un corps $k$ algébriquement clos (donc infini) et on regarde le cas affine. La topologie de Zariski est un concept de géométrie algébrique dont le but est d'étudier les courbes algébriques, c'est-à-dire les courbes caractérisées par un système (fini) d'équations polynomiales à nombre fini d'indéterminées.
Parmi les courbes algébriques les plus simples, on trouve notamment les droites, les coniques (en dimension 2), également les plans, les quadriques (en dimension 3). Parmi les plus complexes, on compte la célèbre équation de Fermat (en dimension 3) $x^m+y^m=z^m$ dont Andrew Wiles a montré en 1994 qu'elle n'admettait aucune solution dans $\mathbb{N}^3$. Il y a aussi l'équation de Catalan $x^y-y^x=1$, dont il fut montré récemment qu'elle n'admettait qu'une seule solution dans l'ensemble des entiers naturels (x=3, y=2).

fermat_timbre

La topologie de Zariski est une famille de fermés définie sur le $k$-espace vectoriel $k^n$. Un ensemble algébrique est l'ensemble des points d'annulation conjoints d'une famille de polynômes $S\subset k[X_1,\dots,X_n]$. Au passage, on remarque qu'un point annule tous les polynômes de $S$ si et seulement si il annule tous les polynômes de l'idéal engendré par $S$. On peut donc supposer qu'un ensemble algébrique se base sur un idéal de $k[X_1,\dots,X_n]$.

L'ensemble algébrique associé à l'idéal I se note : $V(I)=\{x\in k^n : \forall P\in I, P(x)=0\}$
Réciproquement, si V est un ensemble algébrique a priori associé à une partie quelconque S de $k[X_1,\dots,X_n]$, alors l'idéal des polynômes annulateurs de V est noté I(V).

Attention : même si on a V(I(V)) = V, on n'a en revanche pas forcément I(V(I)) = I. C'est l'objet du Nullstellensatz ou Théorème des zéros de Hilbert : la seconde égalité est réalisé si et seulement si I est un idéal radical - i.e. si pour tout polynôme de la forme $P^r$ de I, $P\in I$ (une racine de est en effet une racine de n'importe quelle puissance de P et réciproquement).

On remarque qu'une union finie d'ensembles algébriques est un ensemble algébrique : l'ensemble des points qui annulent les polynômes d'un idéal I ou d'un idéal J est l'ensemble des points qui annulent les polynômes de l'idéal $IJ$. De même, l'intersection quelconque d'ensembles algébriques est un ensemble algébrique : l'ensemble des points qui annulent les polynômes de tous les idéaux d'une famille est l'ensemble des points qui annulent les polynômes de la somme de ces idéaux.

L'argument est le suivant : une somme quelconque d'idéaux est un idéal dans notre cadre car $k[X_1,\dots,X_n]$ est un anneau noethérien, donc toute somme quelconque d'idéaux se retrouve engendrée par un nombre fini de polynômes. A l'inverse, un produit quelconque d'idéaux n'est pas forcément bien défini.

Cet ensemble de fermés définit alors une topologie appelée topologie de Zariski.

Les ouverts de cette topologie sont les complémentaires des fermés. Donc, pour un fermé donné par un idéal I de $lk[X_1,\dots,X_n]$, le complémentaire est l'ensemble des points en lesquels il existe un polynôme de I qui ne s'annule pas.

Quelles sont alors les suites convergentes en topologie de Zariski ? Pour bien sentir cela, notons que pour une suite convergente, l'ensemble formé des valeurs de la suite et de sa limite est une partie fermée. En topologie de Zariski, les fermés sont les V(I) pour I idéal de $K[X_1,\dots,X_n]$. Or cet anneau est noethérien, donc tout idéal est de type fini, engendré par un nombre fini de polynômes $(P_1,\dots,P_k)$.

En fait, les fermés de la topologie de Zariski sont des courbes algébriques, c'est-à-dire des courbes définies par un système d'équations polynomiales.

Par exemple, lorsque n=2, on tombe sur les courbes algébriques du plan. Si I est principal, on observe entre autres les cas suivants :
  • si I est engendré par un polynôme de degré 2, V(I) est une conique (parabole, ellipse ou hyperbole)
  • si I est engendré par un polynôme de degré 1, V(I) est une droite
Evidemment, il n'y a aucune raison de limiter le degré des polynômes générateurs à 2. En allant plus haut, on trouve des courbes d'une complexité sans bornes (courbes cubiques, etc.).

Les suites convergentes en topologie de Zariski suivent donc le tracé de l'intersection de courbes algébriques.

Enfin, la topologie de Zariski présente une particularité : elle rend l'espace $k^n$ irréductible, c'est-à-dire, de manière équivalente :
  • si $F\cup G=k^n$ pour F et G fermés, alors $F=k^n$ ou $G=k^n$
  • si $U\cap V=\emptyset$ pour U et V ouverts, alors $U=\emptyset$ ou $U=\emptyset$
  • tout ouvert non vide de $k^n$ est dense
Donc, les ouverts de $k^n$ sont tous denses dans $k^n$. En revanche, lorsqu'on induit la topologie de Zariski sur un de ses fermés, on ne transmet pas forcément le caractère irréductible : V est alors irréductible si et seulement si I(V) est un idéal premier. Cette intéressante équivalence entre algèbre et topologie est une des nombreuses richesses que propose l'examen de la topologie de Zariski.

Pour en savoir plus
D. Perrin, Géométrie Algébrique - Une Introduction, Ed. EDP Sciences (2009).

Qu'est-ce qu'un corps de nombres ?

I - Quelques mots introductifs sur les corps

Les mathématiques fourmillent de structures algébriques en tout genre : groupes, anneaux, corps, espaces vectoriels, algèbres, etc. Les corps sont des structures "évoluées" : un corps est, en quelque sorte, un ensemble muni de deux "lois" ou "opérations" de composition interne. Ces lois permettent, à partir de deux éléments de l'ensemble, d'en obtenir un troisième.

Par exemple, l'ensemble $\mathbb{Q}$ des nombres rationnels (des fractions d'entiers) est un ensemble muni naturellement de deux lois : l'addition et la multiplication. Or on voit que ces deux opérations ne jouent pas tout à fait le même rôle : par exemple, on a bien $a\times (b+c)=a\times b + a\times c$ mais on n'a en général pas $a +(b\times c)=a\times c + b\times c$. C'est une des exigences de la structure de corps : les opérations sont "hiérarchisées" car l'une est distributive par rapport à l'autre (mais pas l'inverse). On les appellera donc désormais "addition" et "multiplication" pour suivre l'intuition existant sur l'ensemble des rationnels.

Dans un corps on suppose aussi que la loi d'addition est commutative (a+b=b+a pour toute paire d'éléments (a,b)). Si l'opération de multiplication est aussi commutative, on dit que le corps est commutatif. Les corps de nombres étant commutatifs, nous nous placerons dans ce cadre.
Enfin, il y a la question importante de l'inversibilité. Dans un corps, on exige que tout élément admette un opposé, c'est-à-dire un élément qui lneutralise pour l'addition, et que tout élément non nul admette un inverse, c'est-à-dire un élément qui le neutralise pour la multiplication.
Pour reprendre l'exemple de $\mathbb{Q}$, l'ensemble des rationnels :
  • tout élément admet un opposé pour l'addition : l'opposé d'une fraction p/q est la fraction (-p)/q car leur somme fait bien 0 ;
  • tout élément non nul admet un inverse pour la multiplication : l'inverse d'une fraction non nulle p/q est la fraction q/p, car leur produit fait 1.
Ainsi, un corps est un ensemble muni de deux lois "distinctes", toutes deux associatives et commutatives, qu'on appelle addition et multiplication, vérifiant les propriétés suivantes :
  • la multiplication est distributive par rapport à l'addition,
  • tout élément admet un opposé (pour l'addition) qui le neutralise,
  • tout élément non nul admet un inverse (pour la multiplication) qui le neutralise.
Par exemple :
  • $\mathbb{N}$ muni des lois d'addition et de multiplication n'est pas un corps : on ne trouve par exemple pas l'opposé de 1.
  • $\mathbb{Z}$ muni des lois d'addition et de multiplication n'est pas non plus un corps : si on trouve l'opposé de tout élément, on ne trouve par exemple pas l'inverse de 3
  • $\mathbb{Q}$ (ensemble des rationnels),  $\mathbb{R}$ (ensemble des réels), $\mathbb{C}$ (ensemble des complexes), munis des lois d'addition et de multiplication sont des corps.
  • $\mathbb{Q}$ est le "plus petit" corps contenant $\mathbb{Z}$ : on dit que $\mathbb{Q}$ est le corps des fractions de l'anneau intègre $\mathbb{Z}$.
II - Morphismes entre corps - Extensions

Comme parmi les groupes, anneaux, espaces vectoriels et autres, les mathématiciens aiment trouver des relations de morphisme et d'isomorphisme entre corps. En d'autres termes, on aime trouver des applications entre corps qui "respectent" les propriétés d'addition, de multiplication, d'opposé et d'inverse et qui conservent les éléments neutres 0 et 1.

Par exemple, l'application $f:\mathbb{Q}\rightarrow\mathbb{R}$ définie par $f(x)=x$ est un morphisme de corps entre $\mathbb{Q}$ et $\mathbb{R}$ :
  • elle respecte l'addition : f(a+b) = a+b = f(a)+f(b)
  • elle respecte la multiplication : f(ab) = ab = f(a)f(b)
  • elle respecte l'opposé : f(-a)+f(a) = f(a-a) = f(0) = 0 donc f(-a) = -f(a)
  • elle respecte l'inverse : si a est non nul, f(1/a)f(a) = f(1) = 1 donc f(a) est non nul et f(1/a) = 1/f(a)
Un isomorphisme de corps est un morphisme de corps bijectif, c'est-à-dire qu'en plus des propriétés de conservation ci-dessus, on a une relation d'équipotence. Ainsi, deux corps sont dit isomorphes s'il existe un morphisme de corps qui les relie.

Une première remarque importante : un morphisme de corps est nécessairement injectif. En effet, si x est non nul et vérifie f(x)=0 alors 0=f(x)f(1/x)=f(1)=1 donc 0=1 dans le corps d'arrivée, ce qui est impossible. Ainsi, on a le fait remarquable suivant :

S'il existe un morphisme de corps f entre K et L, alors K est isomorphe à un sous-corps de L qui est f(K).

Dans ce cas, K est "naturellement" considéré comme un sous-corps de L et L est appelé une extension de K.

Par exemple, $\mathbb{R}$ est vu comme une extension de $\mathbb{Q}$, d'après le morphisme que nous avons montré en exemple plus haut. C'est pour cette raison qu'on considère que $\mathbb{R}$ contient naturellement $\mathbb{Q}$.

III - Qu'est-ce qu'un corps de nombres ?

Remarquons le fait suivant :

si K est un sous-corps de L (ou si, plus généralement, L est une extension de K), alors L peut être vu comme un K-espace vectoriel.

Par exemple, $\mathbb{R}$ est un $\mathbb{Q}$-espace vectoriel de dimension infinie non dénombrable et $\mathbb{C}$ est un $\mathbb{R}$-espace vectoriel de dimension 2 de base (1,i).
Nous appellerons corps de nombres toute extension finie de $\mathbb{Q}$, c'est-à-dire toute extension de $\mathbb{Q}$ qui est un $\mathbb{Q}$-espace vectoriel de dimension finie. Sous cette hypothèse, nous considérons par exemple que $\mathbb{R}$ n'est pas un corps de nombres.

Une première remarque importante est que tout élément d'un corps de nombres est racine d'un polynôme non nul à coefficients dans $\mathbb{Q}$. En effet, si x est un tel élément, alors la famille $(1,x,\dots,x^n,\dots)$ est $\mathbb{Q}$-liée et la relation de liaision nous donne le polynôme recherché. De plus, d'après la nature euclidienne de l'anneau $\mathbb{Q}[X]$, il existe un unique polynôme non nul de degré minimal qui annule x : on l'appelle le polynôme minimal de x sur $\mathbb{Q}$.

Ainsi, cette remarque nous permet d'affirmer qu'un corps de nombres est totalement inclus dans $\mathbb{C}$. En effet, si x est un élément d'un corps de nombres, alors il est racine d'un polynôme à coefficients dans $\mathbb{Q}$. Or, toutes les racines d'un tel polynôme sont forcément dans $\mathbb{C}$ car $\mathbb{C}$ est algébriquement clos. Cette remarquable propriété d'inclusion de tout corps de nombres dans $\mathbb{C}$ est donc directement liée au caractère algébriquement clos de $\mathbb{C}$. En réalité, $\mathbb{C}$ est un peu plus : c'est la clôture algébrique de $\mathbb{Q}$, c'est-à-dire le plus petit corps algébriquement clos qui le contient.

Parmi les corps de nombres, on compte donc par exemple toutes les extensions du type
 $$\mathbb{Q}[\alpha] = \{ P(\alpha) : P\in\mathbb{Q}[X] \}$$
pour $\alpha\in\mathbb{C}$ élément algébrique sur $\mathbb{Q}$, c'est-à-dire tel qu'il existe justement $R\in\mathbb{Q}[X]$ tel que $R(\alpha)=0$.

Vérifier qu'un tel ensemble est bien un corps est d'ailleurs un très bon exercice. Par ailleurs, $\mathbb{Q}[\alpha]$ peut être vu comme le sous-corps de $\mathbb{C}$ engendré par $(1,\alpha)$ - d'où la notation.

IV - Théorème de l'élément primitif et degré d'un corps de nombres

En fait, tout corps de nombres peut se mettre sous cette forme : c'est le théorème de l'élément primitif. Celui-ci affirme que tout corps de nombres $K$, en tant qu'extension finie de $\mathbb{Q}$ par définition, admet un élément $\alpha\in\mathbb{C}$ tel que $K=\mathbb{Q}(\alpha)$. Un tel $\alpha$ n'est pas unique (on peut prendre par exemple n'importe quel $r\alpha$ pour $r\in\mathbb{Q}^*$) mais il "génère" en quelque sorte le corps $K$ à partir de $\mathbb{Q}$.

Par définition de $\mathbb{Q}(\alpha)$, la famille (dénombrable) $(1,\alpha,\alpha^2,\dots,\alpha^n,\dots)$ est une famille $\mathbb{Q}$-génératrice de $K$ au sens de l'algèbre linéaire.

Plus précisément, $K$, en tant qu'extension de $\mathbb{Q}$, est un $\mathbb{Q}$-espace vectoriel de dimension égale au degré du polynôme minimal de $\alpha$. Cette dimension est aussi appelée degré de l'extension $\mathbb{Q}\subset K$, on le note $[K:\mathbb{Q}]$.

Par exemple, prenant $\alpha=i$, $i$ étant le célèbre nombre complexe de carré égal à (-1), on note que $X^2+1$ est le polynôme minimal de $i$ sur $\mathbb{Q}$ : il annule $i$ et est irréductible sur $\mathbb{Q}$ (sinon il admettrait une racine rationnelle, ce qui est impossible). Le résultat que nous venons d'énoncer nous permet de dire que l'extension $\mathbb{Q}\subset\mathbb{Q}(i)$ est de degré 2. C'est bien le cas : $(1,i)$ est une famille $\mathbb{Q}$-libre tandis que $(1,i,i^2)=(1,i,-1)$ est une famille $\mathbb{Q}$-liée. Donc $(1,i)$ est une $\mathbb{Q}$-base de $\mathbb{Q}(i)$.

L'élément primitif n'est parfois pas facile à trouver et c'est lui qui permet d'obtenir la vérité sur le degré d'une extension. Par exemple, le corps $K$ de décomposition du polynôme $(X^3-3)$, à coefficients rationnels et irréductible sur $\mathbb{Q}$, n'est pas le corps $\mathbb{Q}(\alpha)$ où $\alpha$ est une racine de ce polynôme. Le degré de l'extension $\mathbb{Q}\subset K$ n'est pas $3$. On peut en revanche montrer que $K=\mathbb{Q}(\alpha,j)$ où $j=e^{\frac{2i\pi}{3}}$ et que $K$ est de degré $6$ sur $\mathbb{Q}$.

Pour en savoir plus
A. CHAMBERT-LOIR, Algèbre Corporelle, Ed. de l'Ecole Polytechnique
P. SAMUEL, Théorie algébrique des nombres, Ed. Méthodes
D. PERRIN, Cours d'Algèbre, Ed. Ellipses