Les mathématiques fourmillent de structures algébriques en tout genre : groupes, anneaux, corps, espaces vectoriels, algèbres, etc. Les corps sont des structures "évoluées" : un corps est, en quelque sorte, un ensemble muni de deux "lois" ou "opérations" de composition interne. Ces lois permettent, à partir de deux éléments de l'ensemble, d'en obtenir un troisième.
Par exemple, l'ensemble $\mathbb{Q}$ des nombres rationnels (des fractions d'entiers) est un ensemble muni naturellement de deux lois : l'addition et la multiplication. Or on voit que ces deux opérations ne jouent pas tout à fait le même rôle : par exemple, on a bien $a\times (b+c)=a\times b + a\times c$ mais on n'a en général pas $a +(b\times c)=a\times c + b\times c$. C'est une des exigences de la structure de corps : les opérations sont "hiérarchisées" car l'une est distributive par rapport à l'autre (mais pas l'inverse). On les appellera donc désormais "addition" et "multiplication" pour suivre l'intuition existant sur l'ensemble des rationnels.
Dans un corps on suppose aussi que la loi d'addition est commutative (a+b=b+a pour toute paire d'éléments (a,b)). Si l'opération de multiplication est aussi commutative, on dit que le corps est commutatif. Les corps de nombres étant commutatifs, nous nous placerons dans ce cadre.
Enfin, il y a la question importante de l'inversibilité. Dans un corps, on exige que tout élément admette un opposé, c'est-à-dire un élément qui le neutralise pour l'addition, et que tout élément non nul admette un inverse, c'est-à-dire un élément qui le neutralise pour la multiplication.
Pour reprendre l'exemple de $\mathbb{Q}$, l'ensemble des rationnels :
- tout élément admet un opposé pour l'addition : l'opposé d'une fraction p/q est la fraction (-p)/q car leur somme fait bien 0 ;
- tout élément non nul admet un inverse pour la multiplication : l'inverse d'une fraction non nulle p/q est la fraction q/p, car leur produit fait 1.
- la multiplication est distributive par rapport à l'addition,
- tout élément admet un opposé (pour l'addition) qui le neutralise,
- tout élément non nul admet un inverse (pour la multiplication) qui le neutralise.
- $\mathbb{N}$ muni des lois d'addition et de multiplication n'est pas un corps : on ne trouve par exemple pas l'opposé de 1.
- $\mathbb{Z}$ muni des lois d'addition et de multiplication n'est pas non plus un corps : si on trouve l'opposé de tout élément, on ne trouve par exemple pas l'inverse de 3
- $\mathbb{Q}$ (ensemble des rationnels), $\mathbb{R}$ (ensemble des réels), $\mathbb{C}$ (ensemble des complexes), munis des lois d'addition et de multiplication sont des corps.
- $\mathbb{Q}$ est le "plus petit" corps contenant $\mathbb{Z}$ : on dit que $\mathbb{Q}$ est le corps des fractions de l'anneau intègre $\mathbb{Z}$.
Comme parmi les groupes, anneaux, espaces vectoriels et autres, les mathématiciens aiment trouver des relations de morphisme et d'isomorphisme entre corps. En d'autres termes, on aime trouver des applications entre corps qui "respectent" les propriétés d'addition, de multiplication, d'opposé et d'inverse et qui conservent les éléments neutres 0 et 1.
Par exemple, l'application $f:\mathbb{Q}\rightarrow\mathbb{R}$ définie par $f(x)=x$ est un morphisme de corps entre $\mathbb{Q}$ et $\mathbb{R}$ :
- elle respecte l'addition : f(a+b) = a+b = f(a)+f(b)
- elle respecte la multiplication : f(ab) = ab = f(a)f(b)
- elle respecte l'opposé : f(-a)+f(a) = f(a-a) = f(0) = 0 donc f(-a) = -f(a)
- elle respecte l'inverse : si a est non nul, f(1/a)f(a) = f(1) = 1 donc f(a) est non nul et f(1/a) = 1/f(a)
Une première remarque importante : un morphisme de corps est nécessairement injectif. En effet, si x est non nul et vérifie f(x)=0 alors 0=f(x)f(1/x)=f(1)=1 donc 0=1 dans le corps d'arrivée, ce qui est impossible. Ainsi, on a le fait remarquable suivant :
S'il existe un morphisme de corps f entre K et L, alors K est isomorphe à un sous-corps de L qui est f(K).
Dans ce cas, K est "naturellement" considéré comme un sous-corps de L et L est appelé une extension de K.
Par
exemple, $\mathbb{R}$ est vu comme une extension de $\mathbb{Q}$, d'après le morphisme que nous avons montré en exemple plus
haut. C'est pour cette raison qu'on considère que $\mathbb{R}$
contient naturellement $\mathbb{Q}$.
III - Qu'est-ce qu'un corps de nombres ?
Remarquons le fait suivant :
si
K est un sous-corps de L (ou si, plus généralement, L est une extension
de K), alors L peut être vu comme un K-espace vectoriel.
Par
exemple, $\mathbb{R}$ est un $\mathbb{Q}$-espace vectoriel
de dimension infinie non dénombrable et $\mathbb{C}$ est un $\mathbb{R}$-espace vectoriel de dimension 2 de base (1,i).
Nous appellerons corps de nombres
toute extension finie de $\mathbb{Q}$, c'est-à-dire toute
extension de $\mathbb{Q}$ qui est un $\mathbb{Q}$-espace
vectoriel de dimension finie. Sous cette hypothèse, nous considérons par
exemple que $\mathbb{R}$ n'est pas un corps de nombres.
Une
première remarque importante est que tout élément d'un corps de nombres
est racine d'un polynôme non nul à coefficients dans $\mathbb{Q}$. En effet, si x est un tel élément, alors la famille $(1,x,\dots,x^n,\dots)$ est $\mathbb{Q}$-liée et la relation de
liaision nous donne le polynôme recherché. De plus, d'après la nature
euclidienne de l'anneau $\mathbb{Q}[X]$, il existe un unique
polynôme non nul de degré minimal qui annule x : on l'appelle le polynôme minimal de x sur $\mathbb{Q}$.
Ainsi,
cette remarque nous permet d'affirmer qu'un corps de nombres est
totalement inclus dans $\mathbb{C}$. En effet, si x est un élément
d'un corps de nombres, alors il est racine d'un polynôme à coefficients
dans $\mathbb{Q}$. Or, toutes les racines d'un tel polynôme sont
forcément dans $\mathbb{C}$ car $\mathbb{C}$ est algébriquement clos.
Cette remarquable propriété d'inclusion de tout corps de nombres dans
$\mathbb{C}$ est donc directement liée au caractère algébriquement clos
de $\mathbb{C}$. En réalité, $\mathbb{C}$ est un peu plus :
c'est la clôture algébrique de $\mathbb{Q}$, c'est-à-dire le plus petit corps algébriquement clos qui le contient.
Parmi les corps de nombres, on compte donc par exemple toutes les extensions du type
$$\mathbb{Q}[\alpha] = \{ P(\alpha) : P\in\mathbb{Q}[X] \}$$
pour
$\alpha\in\mathbb{C}$ élément algébrique sur $\mathbb{Q}$,
c'est-à-dire tel qu'il existe justement $R\in\mathbb{Q}[X]$ tel que
$R(\alpha)=0$.
Vérifier
qu'un tel ensemble est bien un corps est d'ailleurs un très bon
exercice. Par ailleurs, $\mathbb{Q}[\alpha]$ peut être vu comme le
sous-corps de $\mathbb{C}$ engendré par $(1,\alpha)$ - d'où
la notation.
IV - Théorème de l'élément primitif et degré d'un corps de nombres
Par définition de $\mathbb{Q}(\alpha)$, la famille (dénombrable) $(1,\alpha,\alpha^2,\dots,\alpha^n,\dots)$ est une famille $\mathbb{Q}$-génératrice de $K$ au sens de l'algèbre linéaire.
Plus précisément, $K$, en tant qu'extension de $\mathbb{Q}$, est un $\mathbb{Q}$-espace vectoriel de dimension égale au degré du polynôme minimal de $\alpha$. Cette dimension est aussi appelée degré de l'extension $\mathbb{Q}\subset K$, on le note $[K:\mathbb{Q}]$.
Par exemple, prenant $\alpha=i$, $i$ étant le célèbre nombre complexe de carré égal à (-1), on note que $X^2+1$ est le polynôme minimal de $i$ sur $\mathbb{Q}$ : il annule $i$ et est irréductible sur $\mathbb{Q}$ (sinon il admettrait une racine rationnelle, ce qui est impossible). Le résultat que nous venons d'énoncer nous permet de dire que l'extension $\mathbb{Q}\subset\mathbb{Q}(i)$ est de degré 2. C'est bien le cas : $(1,i)$ est une famille $\mathbb{Q}$-libre tandis que $(1,i,i^2)=(1,i,-1)$ est une famille $\mathbb{Q}$-liée. Donc $(1,i)$ est une $\mathbb{Q}$-base de $\mathbb{Q}(i)$.
L'élément primitif n'est parfois pas facile à trouver et c'est lui qui permet d'obtenir la vérité sur le degré d'une extension. Par exemple, le corps $K$ de décomposition du polynôme $(X^3-3)$, à coefficients rationnels et irréductible sur $\mathbb{Q}$, n'est pas le corps $\mathbb{Q}(\alpha)$ où $\alpha$ est une racine de ce polynôme. Le degré de l'extension $\mathbb{Q}\subset K$ n'est pas $3$. On peut en revanche montrer que $K=\mathbb{Q}(\alpha,j)$ où $j=e^{\frac{2i\pi}{3}}$ et que $K$ est de degré $6$ sur $\mathbb{Q}$.
Pour en savoir plus
A. CHAMBERT-LOIR, Algèbre Corporelle, Ed. de l'Ecole Polytechnique
P. SAMUEL, Théorie algébrique des nombres, Ed. Méthodes
D. PERRIN, Cours d'Algèbre, Ed. Ellipses
D. PERRIN, Cours d'Algèbre, Ed. Ellipses
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