Tuesday, July 17, 2012

Complété d'un espace : une construction bien réelle !

Le dernier post de ce blog parle de construction, d'extension, d'artifice mathématique poussant à créer des ensembles aux propriétés plus fortes que les ensembles de base.

Ainsi, nous avons parlé de la construction générale d'un ensemble métrique complet à partir d'un espace métrique quelconque, celui-ci étant dense dans son extension. Un exemple de densité ne vous vient-il pas à l'esprit ? Le plus souvent, on parle de densité avec l'ensemble des rationnels dans l'ensemble des réels, n'est-ce pas ? Cela va être notre propos ici, comme une application du complété d'un espace : nous allons parler de la construction de l'ensemble des réels.

Petit rappel d'abord sur la construction des ensembles connus : admettant la construction de l'ensemble des entiers naturels (1), de sa loi de composition interne, l'addition, on a alors, par définition, un monoïde. Une extension naturelle de cet ensemble est de le munir de symétriques pour l'addition, ainsi on adjoint aux entiers naturels les entiers négatifs pour former l'ensemble des entiers relatifs. Cette fois, on a même une structure de groupe pour la l.c.i. addition, c'est-à-dire que tout élément admet un inversible de telle sorte que composés ensemble, ils reviennent à l'élément neutre : 0.

Plus que de groupe, on a même une structure d'anneau si on adjoint la multiplication entre entiers relatifs - on aurait même pu munir les entiers naturels de la multiplication, faisant de l'ensemble un "double monoïde". Cette fois, l'ensemble des entiers relatifs n'admet que 1 et -1 comme inversibles pour la multiplication ; ainsi, comme dans le cas des entiers naturels, il paraît "naturel", justement, d'ajouter à l'ensemble des relatifs, les inversibles tels que l'ensemble ainsi créé (2) soit également muni d'une structure de groupe pour la multiplication. Ainsi, on se retrouve avec l'ensemble des nombres rationnels.

Parlons topologie désormais (3). Autant sur les entiers naturels et sur les entiers relatifs, les topologies induites pouvaient rester triviales - puisqu'essentiellement des topologies discrètes - autant sur les rationnels, on voit apparaître une topologie plus élaborée en introduisant la métrique canonique consistant à mesurer la distance entre deux fractions comme la valeur absolue de leur différence. Sous cette métrique, on construit par exemple des suites convergentes non constantes ; ainsi considérant 1/n pour n tendant vers l'infini, la suite converge vers 0.

Or, l'ensemble des rationnels muni de cette métrique n'est pas complet (à noter que muni de la métrique discrète, il l'est). Pourtant, prenant un coup d'avance, on sait que l'ensemble des rationnels se plonge dans celui des réels et que ce dernier est complet. Donc, où est le problème ? Et bien, le problème tient dans le fait suivant : si toute suite de Cauchy de ℚ converge dans ℝ comme suite de réels, sa limite, elle, n'est pas forcément dans ℚ. Bien au contraire, il existe énormément de suites de Cauchy de ℚ non convergentes dans ℚ, par exemple considérant les développements décimaux tronqués de tous les nombres irrationnels (racines de nombre entiers non carrés parfaits, nombres transcendants, etc.).

Justement, retournons le problème et regardons la question suivante : que se passe-t-il si on considère le complété de ℚ comme construit dans la publication précédente ? Et bien, tout simplement, on tombe sur l'ensemble des réels ℝ. En d'autres termes, si on construit l'extension de ℚ qui contient les suites de Cauchy d'éléments de ℚ - regroupées par classes d'équivalence (4) - on tombe sur tous les nombres réels : algébriques, transcendants, ... tous. En conséquence, on tient là une construction de l'ensemble des réels par complétion de l'ensemble des rationnels pour sa métrique naturelle.

Cette construction de ℝ est appelée "construction de Cauchy" en héritage des suites du même nom qui permettent d'identifier ℝ comme le complété de ℚ. A noter que cette construction est aussi valable partant d'une extension algébrique de ℚ d'ordre fini, c'est-à-dire de tout corps résultant de l'adjonction d'un nombre fini de nombres réels algébriques à ℚ.

En résumé, c'est la théorie des ensembles qui construit ℕ, c'est l'algèbre qui nous apporte ℤ puis ℚ, et pour finir, c'est la topologie qui nous donne ℝ. Ainsi, c'est grâce à une belle série de théories mathématiques qu'on parvient à construire les ensembles les plus courants.

Ici encore, nous donnerons dans un post ultérieur de Théorie des Nombres comment une telle idée permet de construire les corps locaux $p$-adiques comme des complétés de $\mathbb{Q}$ pour d'autres métriques que celle de la valeur absolue. Ces "frères" de $\mathbb{R}$ sont à la base de toute la théorie moderne des nombres et travaux de recherche les plus poussés sur le sujet.


(1) Cette construction, dite de Peano, fait appel aux notions d'ordinal et de successeur, que nous aurons sans doute l'occasion d'aborder ici.
(2) ... hormis l'élément zéro pour des questions de gestion de l'horizon infini. Nous aurons également l'occasion de revenir sur l'exclusion du zéro dans les corps dans une publication future.
(3) Oui, encore de la topologie..
(4) A considérer toutes les suites de Cauchy sans les regrouper, on risque de compter deux fois la même pour un même nombre réel. Par exemple, prenons Pi : 3.14926535... considérant la suite (xn) de rationnels composée des développements décimaux jusqu'à la décimale n (n entier naturel) et considérant la suite (yn) de rationnels composée des développements décimaux jusqu'à la décimale 2n (n entier naturel), on obtient deux suites différentes (même si (y) est en fait une suite extraite de (x)) qui tendent vers la même limite. Ainsi, on a besoin de regrouper (x) et (y) dans la même "catégorie", c'est pourquoi on munit l'extension de ℚ de la relation d'équivalence entre suites de Cauchy qui regroupe les suites dont la distance élément à élément tend vers 0. C'est ainsi le cas de nos exemples (x) et (y), dont la différence élément par élément peut être majorée par 10-(n-1).

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